Un an de plus

Heureusement, apr�s une journ�e euphorisante, je me suis tap�e le doc de France 2 sur le 11 septembre 2001. Dire que c'est horrible me semble un peu faible. Donc je ne commenterai pas. Je conseille � tous de le voir. C'est le genre d'images qui vous rappelle de montrer qu'on les aime aux gens qu'on aime.

Comme beaucoup d'entre nous, je crois que je me souviendrai longtemps de ce jour-l�. Le midi, j'�tais partie en courant d'une conf�rence de presse, o� j'avais fait une razzia sur les petits-fours, pour aller � mon rendez-vous annuel � la M�decine du travail. Comme tous les ans, le docteur Poulbot s'�tait inqui�t�e de l'albumine dans mes urines (alors qu'il n'y a rien � y faire, donc j'ai pris le parti de l'ignorer). J'avais atrocement mal aux pieds dans mes chaussures neuves � hauts talons, si bien que j'ai tax� deux pansements Urgo au Docteur Poulbot. Quand je suis arriv�e au bureau en clopinant, le vieux gars qui �coute la radio en affranchissant le courrier nous a dit "un avion s'est �cras� sur le World Trade Center � New York". On s'est regard� avec le PaCa et on lui a r�pondu, grosso modo : "Mais oui, mais oui, et Line Renaud est meneuse de revue au Casino de Paris". Juste apr�s il est revenu � la charge "un autre avion s'est �cras� sur la seconde tour et un autre sur le Pentagone". Le PaCa et moi on s'est dit "c'est pas possible, faut le mettre en retraite le vieux gars. Y part compl�tement de la t�te".

Quand j'ai vu que le Ternet �tait tout satur�, j'ai compris qu'il se passait vraiment un truc.

Je me souviens de tout le monde dans mon petit bureau d'alors, parce que j'avais la radio. Je me rappelle des tronches des gens �berlu�s d'entendre la nouvelle aux infos, mais aussi de l'indiff�rence de l'idiote de service, qui continuerait � taper ses courriers pendant une attaque nucl�aire. Je me souviens surtout du moment o� le PaCa et moi avons vu sur mon micro les premi�res images : l'impact du second avion et les deux tours en flammes. On �tait �pouvant�. Les autres, debout devant mon bureau demandaient "alors ?". En r�ponse, ils ont vu nos visages fig�s par la peur, au bord des larmes. Ca je m'en souviendrai longtemps. Les premi�res images, c'�tait le moment le plus terrible.

Jour meilleur

Incroyable ! J'ai des entretiens d'embauche avec des personnes sympathiques pour des postes int�ressants dans des soci�t�s dynamiques, je participe � des r�unions o� l'on s'int�resse � mon opinion, Grand chef est tout miel depuis quelques jours� Ne partez pas ! Vous �tes bien sur "Mon avis surtout" et tout ce bonheur ne va sans doute pas durer.

Au passage, je salue Olivier pour son mail qui m'a beaucoup touch� (euph�misme) et le gars XIII (qui est un Olivier aussi mais pas le m�me).

La rencontre qui tue

Hier, tandis que je rentrais dans mon chez moi d'un pas guilleret, apr�s un entretien d'embauche avec un patron super d�sagr�able (j'ai de plus en plus de bol), une jeune fille m'a abord�e sur le quai du m�tro. Elle descendait de la rame, comme moi, un papier � la main et m'a demand� son chemin. Sur le papier, un itin�raire �crit en gros et en capitales pour aller de la gare Saint-Lazare � la station Saint-Jacques. Destination : un h�pital. Les instructions �taient tout � fait claires : prendre la ligne 13 direction Ch�tillon-Montrouge et descendre gare Montparnasse, puis prendre la 6 direction Nation� Comment s'�tait-elle retrouv�e � Sentier ? Elle ne le savait pas et �tait compl�tement perdue, incapable de savoir o� elle �tait et de retrouver le bon chemin. Elle avait l'air gentille. Elle �tait comme une �trang�re, et pourtant bien fran�aise. J'ai tout de suite compris qu'elle ne savait pas lire. Et �a m'a fendu le c�ur.

Comment en 2002 une petite nana de 20 ans, un peu simplette mais pas handicap�e, peut-elle �tre illettr�e ? Qu'est-ce qu'ils foutent dans les �coles ? J'ai d�j� �t� confront�e � ce probl�me mais avec une femme plus �g�e et de surcro�t, de la Meuse (j'ai rien contre le grand-Est, mais c'est pas la r�gion la mieux d�velopp�e de France). Je bossais alors dans un magasin pendant l'�t�, avec une grosse idiote qui pr�tendait me manager. Quand la femme est arriv�e � la caisse en me disant de lui �crire son ch�que "parce qu'elle n'avait pas envie", la grosse idiote a fait la moue. Une fois la cliente sortie, elle m'a dit "Ben, elle s'emb�te pas celle-ci, il faut qu'on lui fasse son ch�que". "Sophie, lui r�pondis-je, cette dame ne sait pas �crire". Gros blanc. Pas de r�ponse l'idiote. Ca fait peur l'illettrisme et surtout aux imb�ciles qui savent lire et �crire.

Sur mon quai de m�tro, je sentais bien que c'�tait pas gagn� pour la faire arriver � bon port. Mais je me suis sentie investie d'une mission. Surtout qu'elle allait � l'h�pital (encore si elle avait voulu aller au zoo de Vincennes, j'aurais laiss� couler�). Surtout, ne pas lui faire comprendre que je sais. Le papier qu'elle avait en main �tait destin� � lui faire reconna�tre les signes. Mais elle a confondu la ligne 3 et la 13. Premi�re �tape : aller jusqu'� R�aumur, station suivante sur le m�me quai. Je lui ai fait r�p�ter 3 fois car elle voulait absolument changer de quai pour retourner � Saint-Lazare (avec un seul ticket !). Ensuite, je lui ai dit de changer, de prendre la ligne 4 (la rose fonc�e) direction Porte d'Orl�ans, sans grand espoir. "Demandez aux gens de la RATP, ils sont tr�s gentils�" dis-je sans trop y croire. Elle �tait pas rendue. Je l'ai laiss�e l� en lui redisant "descendez � la prochaine".

Et je m'en suis voulue toute la soir�e : de ne pas avoir �t� plus claire, de ne pas l'avoir accompagn�e, de ne pas lui avoir fil� 10 roros pour prendre un taco (je les avais m�me pas et comment elle serait rentr�e ?), etc�Maintenant, j'ai mal au c�ur, vous savez pas comment. Y'en a plein les rues des gens comme �a qui ne poss�dent rien, m�me pas �a, un peu de savoir. Les aider financi�rement, c'est bien, mais dans le fond qu'est-ce qu'on fait pour eux ? Si on ne peut m�me leur donner le minimum d'�ducation pour rester digne dans la soci�t�.

Une fois � R�uamur, a-t-elle os� demander � quelqu'un d'autre ? Pas s�r. Il en faut du courage pour faire savoir que l'on ne sait pas. Cette nuit, je me suis demand�e pourquoi elle s'�tait adress�e � moi. Comme je sortais d'un rendez-vous, je portais ma jolie robe bleue, qui fait dame, avec des filigranes argent�s. Je suis s�re qu'elle s'est dit "tiens, la dame a l'air gentille, et elle a une jolie robe�"

Mal au c�ur.