De l’humanitéCe matin, je lis, abasourdie, qu’Alain Marécaux, l’ancien huissier acquitté en appel dans l’affaire d’Outreau, a fait une nouvelle tentative de suicide. Acquitté oui, mais cet homme a tout perdu, son étude, son couple, ses enfants et certainement sa foi en l’humanité. Dimanche matin, j’ai regardé sur La Chaîne Parlementaire une grande partie de l’audition des acquittés devant la commission d'enquête. Alain Marécaux racontait le décès de sa mère qui a cessé de s’alimenter le jour de l’arrestation de son fils et sa belle-fille, puis s’est laissée mourir. Il ne s’en est jamais remis, du décès lui-même et des circonstances dans lesquelles il a du y faire face sans la moindre humanité de la part du système judiciaire. Pendant ce temps, le juge refuse toute forme d’excuses puisqu'il n'a fait que ce qu'on lui demandait, après tout... Il a été bien noté, récompensé pour son efficacité.
Il fallait des coupables, ils étaient désignés, pourquoi s'interroger ? Les médias réclamaient des têtes tout de suite, on leur en a données. Les braves gens imaginaient des scénarios plus terribles encore que les faits avérés, des réseaux internationaux de pédophilie, on leur a inventés. La société dans son ensemble voulait faire un exemple, comme ils tombaient bien ces gens ordinaires transformés en bourreaux. Pour réécrire l'histoire, c'était alors pratique de disposer d'une femme monstrueuse et de son enfant victime, tous deux fragiles mentalement. Il a suffit de leur suggérer la trame de ce conte cauchemardesque. L'administration judiciaire, à travers la nouvelle procédure pénale, voulait accorder plus de respect aux victimes et surtout aux enfants dont la parole devait être valorisée et protégée, on est allé au delà la prenant pour évangile et en piétinant le bon droit des personnes innocentes jusqu'à nouvel ordre. C'est ce que tout le monde voulait, on l'a créé. Le juge a fait ce travail que tout le monde réclamait, sans discernement. Les dommages collatéraux importaient peu. L’humanité envers les présumés coupables ne comptait pas.
Comme elle ne comptait pas en 1984 à Epinal. L’humanité n’y était d’ailleurs pas du tout. Dimanche soir, j’étais comme tous les dimanches soirs, terrée de frayeur sous ma couette devant « Faites entrer l’accusé ». Un spécial « Affaire Grégory » qui détaillait autant l’affaire elle-même que son traitement médiatique, aujourd’hui invraisemblable. Entre la diffusion des photos du cadavre du petit, les visites des journalistes aux familles avant même les gendarmes, le pouvoir insensé des médias et la totale irresponsabilité du juge d’instruction, cette affaire était déjà, en son temps, un échec total qui aurait du faire vaciller d’édifice.
Il n’y a pas de victime d’erreur judiciaire au bord de la Vologne, juste des victimes, le gosse, le cousin Bernard Laroche qui y a laissé la vie et une famille totalement dévastée, tout particulièrement cette mère haïe par la France entière pour un soupçon d’infanticide sans aucune trace de preuve.
Les similitudes sont nombreuses entre les deux affaires et attestent de l'absence d’amélioration majeure dans le système durant ces 20 années : les petits juges sans expérience prennent toujours des grands airs et développent des relations malsaines avec les médias, la présomption d’innocence laisse toujours place à ces certitudes basées sur la rumeur, la procédure est toujours maltraitée, bien qu’elle ait évolué, et les personnes sont toujours aussi inhumainement traitées. Ce qui a changé, c’est qu’on ne tolèrerait plus certaines images et certains propos dans Paris Match, car la pudeur, ou la pruderie ont gagné du terrain.
Dans un autre registre, une autre administration a brillé ses derniers temps par son inhumanité en sanctionnant l’un des siens de manière totalement disproportionnée. Je ne m’étendrai pas sur les écrits du blogueur-proviseur que j’ai seulement parcourus, mais je me demande ce qu’il en aurait été s’il s’était vanté de nombreuses conquêtes féminines. Ou s’il s’était répandu sur ses kama-sutras du samedi soir avec Josette. Oui, mais homosexualité est encore synonyme de pornographie pour quelques zélés chefs de service de notre pays. On les imagine se disant « on ne va quand même pas confier nos enfants à ces pervers »... Cette même administration qui refuse son soutien à une enseignante poignardée comme un polochon, cette même administration qui, dans un passé proche, a pris son temps quand il s’agissait de mettre fin aux viols et attouchements d’instituteurs bien notés, les Marcel Lechien et autres.
On croit rêver, mais d'un lourd cauchemar.
Je déteste pointer du doigt cette « administration », d’abord parce le terme en lui-même masque la réalité du travail d’êtres de chair et de sang et parce que c’est le sport favori des vieux réacs. C’est aussi juger sans différenciation les personnes de terrain et les intouchables censeurs qui, cloîtrés dans leur hiérarchie, perdent le contact de la réalité, de l’humanité. Je pense simplement qu’il est temps que l’administration soit capable de soutenir ceux des siens qui servent l’Etat, et donc le peuple, du mieux qu’ils peuvent en appliquant des règles humaines qui ne sont pas toujours celles voulues par la machine. Parce que ceux qui appliquent les procédures et reçoivent les bonnes notes peuvent passer à côté de l’humanité la plus élémentaire et commettre des dégâts irréparables.