vendredi 6 septembre 2002

Un an de plus

Heureusement, après une journée euphorisante, je me suis tapée le doc de France 2 sur le 11 septembre 2001. Dire que c'est horrible me semble un peu faible. Donc je ne commenterai pas. Je conseille à tous de le voir. C'est le genre d'images qui vous rappelle de montrer qu'on les aime aux gens qu'on aime.

Comme beaucoup d'entre nous, je crois que je me souviendrai longtemps de ce jour-là. Le midi, j'étais partie en courant d'une conférence de presse, où j'avais fait une razzia sur les petits-fours, pour aller à mon rendez-vous annuel à la Médecine du travail. Comme tous les ans, le docteur Poulbot s'était inquiétée de l'albumine dans mes urines (alors qu'il n'y a rien à y faire, donc j'ai pris le parti de l'ignorer). J'avais atrocement mal aux pieds dans mes chaussures neuves à hauts talons, si bien que j'ai taxé deux pansements Urgo au Docteur Poulbot. Quand je suis arrivée au bureau en clopinant, le vieux gars qui écoute la radio en affranchissant le courrier nous a dit "un avion s'est écrasé sur le World Trade Center à New York". On s'est regardé avec le PaCa et on lui a répondu, grosso modo : "Mais oui, mais oui, et Line Renaud est meneuse de revue au Casino de Paris". Juste après il est revenu à la charge "un autre avion s'est écrasé sur la seconde tour et un autre sur le Pentagone". Le PaCa et moi on s'est dit "c'est pas possible, faut le mettre en retraite le vieux gars. Y part complètement de la tête".

Quand j'ai vu que le Ternet était tout saturé, j'ai compris qu'il se passait vraiment un truc.

Je me souviens de tout le monde dans mon petit bureau d'alors, parce que j'avais la radio. Je me rappelle des tronches des gens éberlués d'entendre la nouvelle aux infos, mais aussi de l'indifférence de l'idiote de service, qui continuerait à taper ses courriers pendant une attaque nucléaire. Je me souviens surtout du moment où le PaCa et moi avons vu sur mon micro les premières images : l'impact du second avion et les deux tours en flammes. On était épouvanté. Les autres, debout devant mon bureau demandaient "alors ?". En réponse, ils ont vu nos visages figés par la peur, au bord des larmes. Ca je m'en souviendrai longtemps. Les premières images, c'était le moment le plus terrible.

Jour meilleur

Incroyable ! J'ai des entretiens d'embauche avec des personnes sympathiques pour des postes intéressants dans des sociétés dynamiques, je participe à des réunions où l'on s'intéresse à mon opinion, Grand chef est tout miel depuis quelques jours… Ne partez pas ! Vous êtes bien sur "Mon avis surtout" et tout ce bonheur ne va sans doute pas durer.

Au passage, je salue Olivier pour son mail qui m'a beaucoup touché (euphémisme) et le gars XIII (qui est un Olivier aussi mais pas le même).

mardi 3 septembre 2002

La rencontre qui tue

Hier, tandis que je rentrais dans mon chez moi d'un pas guilleret, après un entretien d'embauche avec un patron super désagréable (j'ai de plus en plus de bol), une jeune fille m'a abordée sur le quai du métro. Elle descendait de la rame, comme moi, un papier à la main et m'a demandé son chemin. Sur le papier, un itinéraire écrit en gros et en capitales pour aller de la gare Saint-Lazare à la station Saint-Jacques. Destination : un hôpital. Les instructions étaient tout à fait claires : prendre la ligne 13 direction Châtillon-Montrouge et descendre gare Montparnasse, puis prendre la 6 direction Nation… Comment s'était-elle retrouvée à Sentier ? Elle ne le savait pas et était complètement perdue, incapable de savoir où elle était et de retrouver le bon chemin. Elle avait l'air gentille. Elle était comme une étrangère, et pourtant bien française. J'ai tout de suite compris qu'elle ne savait pas lire. Et ça m'a fendu le cœur.

Comment en 2002 une petite nana de 20 ans, un peu simplette mais pas handicapée, peut-elle être illettrée ? Qu'est-ce qu'ils foutent dans les écoles ? J'ai déjà été confrontée à ce problème mais avec une femme plus âgée et de surcroît, de la Meuse (j'ai rien contre le grand-Est, mais c'est pas la région la mieux développée de France). Je bossais alors dans un magasin pendant l'été, avec une grosse idiote qui prétendait me manager. Quand la femme est arrivée à la caisse en me disant de lui écrire son chèque "parce qu'elle n'avait pas envie", la grosse idiote a fait la moue. Une fois la cliente sortie, elle m'a dit "Ben, elle s'embête pas celle-ci, il faut qu'on lui fasse son chèque". "Sophie, lui répondis-je, cette dame ne sait pas écrire". Gros blanc. Pas de réponse l'idiote. Ca fait peur l'illettrisme et surtout aux imbéciles qui savent lire et écrire.

Sur mon quai de métro, je sentais bien que c'était pas gagné pour la faire arriver à bon port. Mais je me suis sentie investie d'une mission. Surtout qu'elle allait à l'hôpital (encore si elle avait voulu aller au zoo de Vincennes, j'aurais laissé couler…). Surtout, ne pas lui faire comprendre que je sais. Le papier qu'elle avait en main était destiné à lui faire reconnaître les signes. Mais elle a confondu la ligne 3 et la 13. Première étape : aller jusqu'à Réaumur, station suivante sur le même quai. Je lui ai fait répéter 3 fois car elle voulait absolument changer de quai pour retourner à Saint-Lazare (avec un seul ticket !). Ensuite, je lui ai dit de changer, de prendre la ligne 4 (la rose foncée) direction Porte d'Orléans, sans grand espoir. "Demandez aux gens de la RATP, ils sont très gentils…" dis-je sans trop y croire. Elle était pas rendue. Je l'ai laissée là en lui redisant "descendez à la prochaine".

Et je m'en suis voulue toute la soirée : de ne pas avoir été plus claire, de ne pas l'avoir accompagnée, de ne pas lui avoir filé 10 roros pour prendre un taco (je les avais même pas et comment elle serait rentrée ?), etc…Maintenant, j'ai mal au cœur, vous savez pas comment. Y'en a plein les rues des gens comme ça qui ne possèdent rien, même pas ça, un peu de savoir. Les aider financièrement, c'est bien, mais dans le fond qu'est-ce qu'on fait pour eux ? Si on ne peut même leur donner le minimum d'éducation pour rester digne dans la société.

Une fois à Réuamur, a-t-elle osé demander à quelqu'un d'autre ? Pas sûr. Il en faut du courage pour faire savoir que l'on ne sait pas. Cette nuit, je me suis demandée pourquoi elle s'était adressée à moi. Comme je sortais d'un rendez-vous, je portais ma jolie robe bleue, qui fait dame, avec des filigranes argentés. Je suis sûre qu'elle s'est dit "tiens, la dame a l'air gentille, et elle a une jolie robe…"

Mal au cœur.