Cette auboise qui vit en moi
Même si je le voulais, je ne pourrais pas renier mes origines. Je suis auboise et je le reste, et dans le verbe, et dans le geste.
D'abord il y a ces expressions locales qui ponctuent mon discours, et dont je n'ai découvert le caractère purement régional qu'à l'âge de 18 ans, quand j'ai quitté ma province, bien décidée à empoigner la vie, le cœur léger et le bagage mince. Personne à Grenoble et parmi les nombreux étudiants expats des " 4 coins de l'hexagone " (vieille citation d'une speakerine des années 70, peu au fait des principes élémentaires de la géométrie) ne connaissait " la boude ". Ben quoi " la boude " ! " La boudine ? " me répondit une Rémoise. Non, la " boude " ! Belles expressions champenoises pour désigner le nombril : la boude à Troyes et la boudine à Reims. Et personne non plus ne savait qu'être " derne " signifie qu'on a des vertiges. Tout comme l'être humain normalement civilisé ne comprend pas forcément quand on lui parle de " tantôt " ou " c'tantôt " au lieu de " cet après-midi ".
Il y a aussi ce délicieux accent qui me revient parfois et dont le principal ambassadeur à travers le pays est Jean-Marie Bigard, quasi unique gloire locale (avec Raphaël Mezrahi). Car moi aussi, je suis née à " Trouao " et à l'occasion, je regarde passer des bateaux à " vouoles ".
Mais c'est surtout culturellement et historiquement que je ne peux me renier. Je crois qu'une auboise vivra toujours en moi. J'ai beau avoir quitté ce beau département depuis 12 ans, pour n'y revenir qu'épisodiquement, j'y suis née et j'y ai grandi, dans une famille 100 % autochtone. A part quelques Alsaciens fuyant le Prussien, tous mes ancêtres sont nés quelque part en bord de Seine ou d'Aube, un pied dans les blés et l'autre dans les betteraves à sucre, tous paysans puis tous ouvriers du textile. Forcément, il m'en reste quelque chose. Alors quand je parle, j'ai beau faire la Parisienne, la fille qui a fait des études supérieures, le vieux fond pécore et prolo remonte à la surface. Pour mieux comprendre, faut voir ma mère, c'est encore plus flagrant. Ca veut jouer les dames, les " profession libérale ", ça s'achète une belle voiture, mais dès qu'elle parle le masque tombe. Elle " compte " comme le vrai paysan qui amasse dans son bas de laine et elle a toujours une bonne expression auboise qui illustre la sagesse paysanne. Elle a bon appétit et bonne soif, comme dans les banquets de fête des romans de Zola. Mais elle a de qui tenir… Mon grand-père coupait son moteur dans les descentes pour économiser de l'essence, ma grand-mère a stocké du sucre jusqu'à sa mort en 1980 et si j'ai récupéré leur canapé en skaï, c'est qu'ils ne se sont jamais assis dessus, pour pas l'user. Auboise tu nais, auboise tu restes.
Suis pareil. Peux pas cacher d'où je viens. " Je transpire mon milieu " comme on dit. Ca sent la cour de ferme, le silo à grains et la cheminée d'usine en briques. Bien sûr, de nos jours, les céréaliers et les viticulteurs aubois sont parmi les agriculteurs les plus riches de France, et les usines textiles sont parties en Tunisie ou à Maurice, laissant des friches industrielles en pleine ville. Mais l'Aubois reste ce qu'il est : un petit-fils de bouseux de la Champagne Pouilleuse et un fils de tricoteur de chez Devanlay ou de chez Poron. Je n'échappe pas à la règle.
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mercredi 19 novembre 2003
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