Regrets
A la recherche de quelques livres à emporter sur la plage, j’ai récupéré à mon ancien domicile quelques bons vieux Jim Harrison, enfin deux ou trois romans parmi les nombreux que je possède. Car Harrison est sans doute l’écrivain contemporain le plus cher à mon cœur. Tout y est pour me plaire : marginalité sans anarchisme de ses personnages, amour cru de la nature, gourmandise sans limite, recherche des origines, empreinte de la culture indienne et histoires d’amour orchestrées par le sens du romanesque aigu de l’auteur.
J’ai bien entendu choisi d’emporter mon très cher « Dalva », le plus beau roman contemporain que j’ai lu et pour lequel Harrison a écrit une suite, 15 ans plus tard, « la Route du retour », s’assurant un beau succès de librairie. Mais « Dalva » est sans égal. Amours adolescentes, fascination pour le monde indien, quête de ses origines, paysages idylliques du nord des Etats-Unis, retrouvailles des êtres aimés, disparitions…
Me voilà donc feuillant ces pages que j’ai tellement aimées, et découvrant à ma grande surprise une dédicace en première page : « Regrets », signé Xavier, le 8 août 1993. Je ne m’en souvenais pas.
Cette dédicace est postérieure à ma lecture de Dalva. Il me l’a faite en retour de prêt, comme il en a fait un peu partout dans ma bibliothèque de l’époque, que je lui passais petit à petit. Mais pourquoi « Regrets », je n’en ai plus la moindre idée. Sûrement son humour décalé et contestable. Il n’y avait pas encore de regrets entre nous, sinon celui de s’être connus et aimés quelques semaines plus tôt en sachant que nous serions séparés quelques semaines plus tard. Mon ancien camarade de cours devait passer une année en Irlande tandis que je restais à Grenoble pour finir mon cursus. Pourtant, si éphémère que fût cette histoire, elle devait manquer nos vies. En tout cas la mienne.
Nous avons fini l’année universitaire par des ébats débridés, enfin pour moi à l’époque, puisqu’à 20 ans j’étais fort sage, et pour lui aussi, qui avant de me connaître n’était pas bien dégourdi. Pendant les vacances, il était venu me retrouver à Reims où j’étais coincée par un stage déprimant que j’ai abandonné pour passer quelques jours en sa compagnie. Nous vécûmes ensemble dans ma petite chambre remoise parfumée à l’éther, puis chez mes parents pendant qu’ils étaient partis en vacances. J’allais d’ailleurs les rejoindre au moment du 15 août pour fêter mes vingt ans.
Que s’est-il passé ce 8 août ? Etait-ce le jour où nous avons fait cette grande promenade dans le vignoble ou celui où nous avons fait la cuisine et l’amour sans voir la lumière du jour ? Evidemment, je n’en sais plus rien. Pourquoi ce pincement au cœur en lisant cette dédicace ? Parce que, me suis-je dit en voyant la date, le 8 août 1993, j’étais enceinte de lui et nous ne le savions pas encore. C’est justement le jour de mes 20 ans, attablée avec mes parents au Mercure des Sables d’Olonne que j’ai compris ce qui m’arrivait. Que la fatigue, les nausées, le retard de règles étaient le fruit de notre (ma) coupable imprudence.
A vingt ans, je n’envisageais même pas de mener cette aventure pour laquelle je n’étais pas prête. Je me sentais malade et il fallait me soigner. Et Xavier, à distance, n’avait pas complètement conscience de ce qui m’arrivait et pour lequel il me tenait responsable, à juste titre.
Notre histoire ne s’est pas arrêtée dans cette chambre de clinique où je n’ai passé qu’une journée. Il y a eu ce pénible week-end avec mes parents qui avaient demandé à le rencontrer, le jugeant redevable de quelque chose… Puis quelques jours à Noël, où je trouvais le moyen d’être malade alors que nos heures communes étaient comptées. Des coups de fil rapides pour ne pas se ruiner, des lettres plus ou moins inspirées - faute de mails à l’époque - pas assez pour poursuivre une relation. Bientôt la tentation l’emporta de son côté comme du mien. Fin de l’amour. Mais pas fin de nous.
Quand il revient en France l’année suivante, il s’installa par hasard à quelques mètres de chez moi. Il ne nous fallut pas plus que le simple fait de nous revoir pour que le désir l’emporte. Il trompait avec moi la fille avec qui il m’avait trompée. Et nos rendez-vous câlins, dont les sentiments amoureux et les projets de vie avaient disparus, durèrent près de 2 ans. On appelle ça « fucking friends » aujourd’hui.
Il me parlait de ses conquêtes, en termes forts crus puisqu’il en était ainsi de nos relations, et moi je venais le retrouver après avoir quitté un petit ami peu performant. Ces moment s’espacèrent quand il rejoint Bordeaux et moi Paris, mais quelques visites ponctuèrent tout de même l’année universitaire 95-96. Notamment les quelques jours que je passais chez lui, dont j’ai un souvenir indélébile autant pour la visite du Bordelais, que pour nos relations orageuses ou pour l’album de Joan Osborne dont il m’avait fait une cassette, car début 96, on ne gravait pas encore de CD. « One of us » me rappelle automatiquement l’après-midi passée au bord de la Gironde, sans romantisme mais avec une immense nostalgie pour notre liberté d’alors.
Je le voyais encore quand je suis arrivée à BoCravail tandis que lui aussi débutait sa vie professionnelle en région parisienne. Réunis à nouveau mais pas pour longtemps puisque je fis bientôt la connaissance de l’Ex-Homme-de-Ma-Vie à BoCravail et que je dus rapidement constater que la construction d’une histoire d’amour était incompatible avec mon amitié déviante avec Xavier. Je l’ai donc sacrifié du jour au lendemain alors qu’il était mon ami le plus intime.
Je l’ai croisé en 97 à la Fête de l’Huma. Nous y étions ensemble l’année précédente mais cette année-là, j’étais alors en compagnie de celui avec qui je vivais depuis quelques mois. Tout un symbole. Nous avons échangé quelques mots mais nos univers étaient à présent très éloignés et je me sentais coupable, tant vis-à-vis de lui d’avoir rompu toute relation que vis-à-vis de mon compagnon qui jalousait encore une relation si marquante pour moi. Par la suite, je l’ai croisé occasionnellement en faisant des courses au Louvre ou Place des Victoires sans qu’il nous soit donné l’occasion de nous saluer.
Il fait une modeste apparition dans ma vie aujourd’hui à travers la redécouverte de cette dédicace, dont l’évocation est pour moi presque aussi romanesque que le roman « Dalva » lui-même. Quand on a aimé, on n'oublie jamais.
lundi 26 juillet 2004
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