vendredi 18 octobre 2002

Établissements Chouppard et fils
Une maison de qualité, fondée en 1852

C'est en 1852, dans son village de naissance de Sainte-Gudule-les-Pendules, que Louis-Auguste Chouppard fonda les Établissements Chouppard, fabrique de semelles en bois.

Louis-Auguste Chouppard, fils d'Adolphe Chouppard, menuisier-ébéniste de son état, et d'Ernestine Chouppard, née Pupier, ouvrière en maroquinerie, était un enfant précoce. Fier de son héritage familial et du savoir faire transmis par ses parents, le jeune Louis-Auguste se prit de passion pour la semelle en bois. Il effectua ses premières réalisations dès l'âge de 13 ans avec quelques outils offerts pour Noël.

Agé d'à peine 17 ans, Louis-Auguste s'établit à son compte et se fit rapidement une honorable réputation, au-delà même de la commune. Ses semelles en bois le firent rapidement connaître jusque dans les cantons avoisinants.

Mais c'est un événement historique national qui fit de lui un véritable entrepreneur. Saluant l'avènement du Second Empire, Louis-Auguste Chouppard lança la semelle en bois "Napoléon III" qui devint son produit vedette en quelques semaines. Les commandes abondèrent et le jeune homme dut bientôt employer des ouvriers, qu'il forma lui-même à la confection de la semelle en bois Chouppard. Profitant de l'engouement régional pour ce retour aux vraies valeurs de la France après des années d'errements, Il fonda en 1852 les Établissements Chouppard.

Toute sa vie durant, il œuvra au développement de Chouppard, à son rayonnement sur le marché de la semelle en bois, dans le respect des traditions.

Après 49 ans de labeur, harassé de fatigue, ce patron admirable, qui fût aussi un époux aimant et un père exemplaire, légua son entreprise à ses deux fils, Léon et Lucien Chouppard. En 1901, les Établissements Chouppard Frères employaient 178 personnes et jouissaient d'une réputation nationale.

Alors que l'entreprise prospérait, survint la Grande Guerre. Lucien, le plus jeune des frères Chouppard tomba pour la France au Chemin des Dames, loin des siens, mais ses semelles en bois aux pieds. On dit d'ailleurs que ces dernières lui firent du tort lorsque sonna le repli sur des terrains de combat lourds et meubles.

Léon, ne pouvant rester seul à la tête de la manufacture appela auprès de lui son fils Eugène, et à eux deux, ils entreprirent dès 1918 de ressemeler la France. Usant des nouveaux moyens de promotion, Eugène eut recours à la réclame affichée, "Chouppard un jour, Chouppard toujours" devenant la devise de la Maison. Il inaugura également le lotissement Chouppard, coquette zone d'habitat réservée aux plus méritants des employés de Chouppard et Fils. Tout ce qui était nécessaire à leur existence leur fut désormais fourni par Chouppard : les écoles, les commerces, les transports et le charbon.

Pour sa part, Léon Chouppard consacra les dernières années de sa vie au développement international de Chouppard et Fils. Il obtint d'importants marchés en Allemagne où le secteur de la semelle en bois était exsangue. Les années 30 furent donc celles des exportations œuvrant ainsi au rapprochement entre les Nations. On vit Léon Chouppard parcourir l'Europe : Munich en 1934, Berlin en 1935, Rome et Vienne en 1937… Malheureusement, cette louable entreprise ne put empêcher un inévitable conflit mondial.

Après la prévisible humiliation de juin 40, et alors que bien des Français auraient baissé les bras, Eugène Chouppard décida de ne pas fermer les ateliers, répondant aux commandes de sa fidèle clientèle par un recours à toutes les forces de production disponibles.

Pendant 4 ans, il se démena pour obtenir toutes les autorisations nécessaires à la bonne marche de la Maison Chouppard et Fils. Cela lui fut reproché à la fin de la guerre, car d'aucuns voyaient dans cette volonté de perpétuer l'héritage familial en préservant de bonnes relations avec les autorités, des sympathies pour l'ennemi. Certains se sont d'ailleurs mépris, voyant dans l'aigle impérial représenté sur l'historique semelle "Napolèon III" de la Maison, un aigle germanique, glorifiant l'occupant.

L'après-guerre fut la période la plus noire de l'Histoire de la Maison Chouppard. Les Établissements furent placés sous tutelle et Eugène Chouppard et sa famille durent s'exiler au Venezuela où ils fondèrent la "Fábrica artisanal de planta del pie de Chouppard".

Chouppard fut alors au bord de la faillite. Convoitée par le Consortium "Les semeleurs du Poitou", l'entreprise vit son personnel se mobiliser pour une reprise par des capitaux régionaux, alors même que, préservés des dérives gauchistes, aucun mouvement de contestation n'avait jamais frappé les Établissements Chouppard.

C'est alors que survint un jeune homme de 25 ans, Lucien-Gilbert Marcellin-Chouppard, petit-fils du héros de 14, Lucien Chouppard. Ce Saint-Cyrien, né trop tard pour la guerre et ignorant tout de la semelle en bois, se fit un point d'honneur à ce que l'historique Maison Chouppard ne quitte pas le giron familial. Sacrifiant une prometteuse carrière militaire vouée à la préservation de nos territoires coloniaux chèrement acquis, Monsieur Marcellin-Chouppard renoua avec un siècle de tradition en venant s'établir à Sainte-Gudule-les-Pendules, où il fut accueilli comme un sauveur par le personnel en liesse des Établissements Chouppard. À cet instant, il décida de conserver le seul nom de Chouppard qu'il s'enorgueillit de léguer à ses propres enfants. En 1956, il épousa une jeune villageoise, fille du contremaître de l'atelier principal de semellage, Mademoiselle Raymonde Trouchignac, qui lui donna trois beaux enfants, Gérard, Régis et Yvette.

Grâce à l'engagement sans faille de Lucien-Gilbert Chouppard, les Établissements Chouppard retrouvèrent toutes leurs lettres de noblesse, dans la pure tradition familiale Chouppard et sans jamais rien concéder à l'automatisation et à l'avènement des matériaux plastiques dans la confection de la semelle. Cette lutte sans merci pour la préservation de la semelle en bois d'autrefois l'amena à côtoyer les hauts responsables de notre région et à s'engager à leurs côtés contre la menace communiste à nos portes. Monsieur Chouppard fut pendant 37 ans maire-conseiller général du canton de Sainte-Gudule, en plus de ses responsabilités de patron éclairé et libéral. Il fit franchir aux Établissements Chouppard un bond technologique sans précédent avec le branchement de l'électricité dans tous les ateliers et bureaux ainsi que dans tous les logements d'entreprise réservés aux employés Chouppard. Certains même obtinrent l'accès à l'eau courante et au tout-à-l'égout dès 1966.

En 1971, alors que les Établissements Chouppard étaient menacés de rachat par les Nippons de Sashimi Moriwase Tokaido Compagny, il fit entrer dans le capital Eduardo Fernando Rodriguez Garcia Chouppard, cousin et investisseur sud americain. La même année, toutes les dactylos furent équipées de machines à écrire à boule du dernier cri et les ateliers de production furent entièrement ignifugés grâce à une inédite technologie d'amiantage intégral. Deux ans plus tard, les Établissements Chouppard firent leur entrée à la cotation du second marché de la place financière régionale et Lucien-Gilbert Chouppard fut élu par un jury indépendant Patron de PME de l'année 1973 et Homme de l'année de la semelle française.

Pourtant, en 1978, la crise pétrolière toucha de plein fouet les Établissements Chouppard : la semelle en bois ne faisait plus recette. Seul un plan de licenciement permis de sauver l'entreprise. Ces employés quittèrent dignement leurs ateliers chéris, ainsi que les logements fournis par Chouppard pendant 30 ans pour la modique somme de 500 francs par mois. À l'aube des années 80, Lucien-Chouppard qui, dans le tourbillon des années beatniks avait investi dans le développement d'un savoir faire en matière de sabots compensés, recentra l'activité sur le produit traditionnel, la véritable semelle en bois, et offrit même une seconde jeunesse à la semelle "Napoléon III" dont il offrit en personne une paire au Président Giscard D'Estaing, qui les porta sur le champ et déclara "Des chemelles en bois, ch'est formidâble, permettez, che les mets tout de chuite".



Il parvient à redresser la Maison Chouppard qui l'année de son décès accidentel en 1991 comptait toujours 41 salariés. Contre vents et marées, cet homme admirable refusa toute informatisation et toute tentation modernisatrice qui mettrait en péril un siècle et demi de savoir faire familial.

Les Établissements Chouppard furent frappés d'un coup terrible lorsque Monsieur Chouppard, happé par une machine-outil, fût semellé-clouté là même où il avait passé les plus beaux moments de son existence.

Dans l'immense tristesse qui succéda au deuil, on eut à craindre à nouveau pour la survie de Chouppard et fils. C'est alors que, contre toute attente, son épouse, Mme Veuve Chouppard se mit à la disposition de l'entreprise. Quelle dignité dans l'attitude de cette femme, qui décida de consacrer son ultime souffle à l'héritage de son défunt époux !

Raymonde Chouppard est aujourd'hui le dirigeant incontesté des Établissements Chouppard et Fils, et veille, plus que jamais en ces périodes où les nouvelles technologies mettent en péril la vie de nos petites entreprises, au respect d'un outil de travail traditionnel, basé sur l'utilisation du four à bois, du massicot en plomb et de la machine à calculer à rouleau.

Longue vie aux Établissements Chouppard et vive la semelle en bois !