mardi 1 juin 2004

Vendredi

Dimanche matin, il a fallu se rendre à l’évidence : il était tout seul. Maman avait disparue et aucun congénère n’avait donné signe de vie depuis longtemps. La faim se faisait sentir et la pluie perçante entre les tuiles déglinguées du toit du garage venait lui mouiller le dos. Et puis il avait peur de rester là seul, sans défense, sans nourriture. Pourquoi tout le monde avait-il disparu ? Alors il a crié, tant qu’il a pu, pendant des heures, mais rien ne s’est passé, à part le jour qui s’est levé. Pas d’autre solution que d’essayer de descendre cette échelle. Une grande échelle posée contre les planches vermoulues qui servent de mezzanine, avec des jours gigantesques, mais en bas la promesse d’un monde meilleur. Descendre tient de l’exploit d’acrobate. Sauter les marches une à une, en se raccrochant comme on peut. Ca a été long et fatiguant, mais rien ne pouvait être pire que l’abandon et le noir. Une fois en bas, un monde quasi inconnu, de la saleté, des toiles d’araignées, de vieux outils rouillés… Pas de présence amie, pas de compagnie. Et au dehors, la lumière, le soleil voilé, du bruit, des signes de vie. Tenter sa chance, sortir sous la pluie pour retrouver Maman… ou un autre. Pour ne plus avoir peur, ne pas rester là tout seul en attendant… quoi donc ? Direction le carré herbu derrière les graviers. Ca gratte le ventre, c’est amusant de gambader dans l’herbe, même s’il n’a pas encore beaucoup d’assurance sur ses petites pattes. Il court en crabe, il vacille, il s’amuse, après tout sans penser à ce qu’il adviendra de lui…
Et puis un grand bruit, une présence, un être géant qui parle, qui le regarde, qui s’intéresse à lui. Il ne redoute même pas le danger, il se dit que c’est sa chance et il court vers elle, en criant gentiment, pour lui faire comprendre qu’il a besoin d’aide et d’affection. La grande créature a les mains chaudes, alors il saute dedans. Ca fait du bien. Juste après, il court sur un sol froid et glissant dans une grande pièce éclairée, devant une soucoupe remplie de liquide blanc dans laquelle il va patauger. Il y a une autre grande créature aux mains chaudes qui le regarde et lui nettoie l’œil gauche, celui qui est presque fermé par la crasse. Il les regarde l’une après l’autre, tourne la tête et ouvre grand ses yeux pleins d’amour. Les créatures s’agitent mais il n’a pas peur, il a confiance, qu’est ce qui peut lui arriver de pire que le fond du garage ? Il se soumet tout entier et offre sans avarice tout ce qu’il a à donner, de l’amour et de la douceur. Après un peu d’agitation, il est porté très haut dans l’air et soudain un gros objet lui force la gueule et vient déverser dans sa gorge un liquide tiède et très bon. Manger, ça réchauffe, c’est une sentation étrange et réconfortante. Il a bien fait de se laisser porter jusqu’ici.
Deux heures plus tard, après un petit nettoyage et après élimination des premières propositions – Vivaldi, Volapuk, Veinard, Voyou, Vodka – il s’appelait Vendredi et s’endormait sur mon sein, un peu comme le chaton de la « Brave Margot ». Et toute la nuit il a pleuré pour dormir dans le cou de ma mère, pour sentir sa chaleur et ne plus jamais rester seul. Il a 4 semaines, le dos gris foncé, le ventre tigré et l’intérieur des oreilles et le cou beige. C’est le chaton le plus petit, le plus mignon et surtout le plus gentil que je n’ai jamais vu. Et le plus collant aussi. Il ne supporte pas qu’on le laisse seul Vendredi et même quand on est là, il ne nous lâche pas du regard. Longue vie Vendredi.